docx
docx
docx
docx
docx
m4a
m4a
Anna, Maëva, Siada, Tania
m4a
pdf
Cross Cultural Design Senongo Agben
pdf
pdf
https://qalqalah.org/fr
https://cyberfeminismindex.com/collections/indigenous-futures/#/oded-territories-tracing-indigenous-pathways-in-new-media-art
https://typo.social/@enablelanguages
Coupé-décalé
Opacité
Traduction/Transposition
Transculturel
Multiscript
Design décolonial
Marronnage
Traverser les frontières
Tordre la carte coloniale
Designer situé.e
Designer anthropologue ?
Qui parle ?
Intraduisible
Echec communication?
Encore du design ?
Pratique de l'entretien
Multiscriptes Loraine Furter Naïma Ben Ayed Emilie Aurat Lisa Huang Garine Gokceyan
Design in a global context Karen Fiss
Negating the serif
Kurt Campbell
Contrepoints - trames
Asymétrie
Parasitage
vers de livre
Dialogue et voix multiples
https://futuress.org/
Transpositions graphiques
pdf
« On Opacity: How Artists Resist “Representation” and Legibility ». Simon Wu
pdf
Gabriele Čepulytė,
« Le design graphique et la traduction au prisme de la transcréation ».
Cultiver le décalage*
Cultiver le décalage*
docx
docx
docx
Art de la fugue des personnes esclavagisées
Forme ET fond
Subversion
Ne pas (se) sur-exposer
Feintes au sein d'un système
pdf
Jeux rythmiques et variations
Vers un marronnage numérique ?
Iyo Bisseck
Dreaming Beyond AI
Charlotte Attal, design graphique
Projets : Kitaba, Tras Kréyol
Montasser Drissi, design graphique
Recherche : A quoi doit ressembler une Alef ?
Projets : identité visuelle de Qalqalah
Loraine Furter, Naïma Ben Ayed, Emilie Aurat, Lisa Huang, Garine Gokceyan
Conférence Multiscriptes
Mirelle van Tulder, recherches et édition
Roots to fruits
Kulte éditions et centre d'art
Publications bilingues (ar-fr / ar-eng)
Ramon Tejada, Design graphique
Decentering Design Resources
Leaky Archives
Partager des archives et des savoirs marginalisés en ayant conscience du risque d'extractivisme
Walid Bouchouchi, Akakir Studio
Design graphique
m4a
Popup dans la Page
Journal de bord (old) Etat de mon projet de diplôme au 13 mars. La réceptivité du jury lors de ma soutenance a confirmé la légitimité des enjeux que j’abordais dans mon mémoire, et plus globalement dans ma pratique du design. Mon point fort, sans grande surprise, résidait dans la rédaction et le travail de recherche, mais Lucille a également souligné un angle que je n’avais pas essayé de mettre en avant : celui de la fiction, du fait des dialogues fictifs que je menais. Je ne réinvestirai pas cela dans mon projet de diplôme, mais je le pourrais dans mes poursuites d’études. Mon projet sera une forme de mise en œuvre des propositions émises dans mon mémoire et se concrétisera donc par la coordination et la confection d’une revue portant sur les féminismes noirs et décoloniaux. Je ferai référence à certaines remarques du jury, notamment celles sur la linéarité de la lecture qui sera rompue par les rencontres entre les contributions. J’ai déjà contacté plusieurs contributrices et cinq ont répondu favorablement à mon appel. Pour l’instant je n’ai pas de ligne éditoriale figée, elle sera déterminée par la rencontre entre les productions reçues. Leur point commun est d’accentuer la publicité de thématiques propres aux femmes racisées, tant du point de vue de l’expérience personnelle que de celui de mécanismes systémiques. Afin de ne pas perdre de temps en attendant les fichiers des personnes contactées, j’ai commencé la mise en page d’un article open access paru dans la revue de sciences sociales Marronnages et intitulé “Les traductions françaises de l’intersectionnalité : race, mondes académiques et profits intellectuels”. La chercheuse Evélia Mayenga y propose une cartographie des positions des universitaires ayant participé à la diffusion de ce concept en France, et qui en ont bénéficié. Cet article d’une vingtaine de pages assure déjà un contenu conséquent pour ma revue et lui donne une coloration sociologique. Comme je candidate à des masters en parallèle, cette dimension a fait son entrée dans ma pratique éditoriale, et j’en profite pour aborder les apports du graphisme à la diffusion de ces recherches. Patrice et Victoria m’ont conseillé de documenter également mes échanges avec les contributrices, et de les inclure pleinement dans mon projet de diplôme. Cela rejoint l’enthousiasme de Noémie pour l’entretien mené avec Emilie Aurat. Par ailleurs, j’envisageais de titrer ma revue Entre-tenir. Je pourrais introduire ces échanges sur un site internet, complément de la revue papier. Ce site internet sera influencé par celui de Back Office qui est plus qu’un doublon de la revue puisqu’il propose une véritable interactivité. De la même manière que la revue se fera multiple et sans hiérarchie (comme les plateaux évoqués par Gilles Deleuze et Félix Guattari), le site envisagé sera acentré. Sources d’inspiration: Prince.com. Base Design pour Prince Estate. https://prince.com/ Back Office. Kévin Donnot, Élise Gay, Anthony Masure. http://www.revue-backoffice.com/ Naar. Montasser Drissi Les mises en page des contributions résulteront d’un dialogue avec leur auteure. Elles croiseront leurs références et les miennes. Je n’ai donc pas encore de références figées. Pour l’article que j’ai commencé à mettre en page, je me suis notamment inspirée de la proposition d’Inès Davodeau pour la revue Ballast (une revue que je connais déjà puisqu’elle compte parmi ses membres la première personne que j’ai interviewée en première année : Maya Mihindou). Ballast no 6. Inès Davodeau, 2019. 25.03 J’ai achevé la mise en page du premier article consacré aux traductions de l’intersectionnalité. Les pages sont habillées d’un fond rappelant les réticules cartographiques. Les textes s’agencent dans une grille assez simple à huit colonnes, le quart étant dédié à des marges qui permettent une annotation personnelle. Les difficultés ont résidé dans la gestion de drapeaux en raison de la longueur du mot “intersectionnalité”, très récurrent, et dans l’attribution d’une surface pour les notes. Si ces éléments de paratexte sont presque indissociables des articles en sciences sociales, un autre enjeu propre à ce champ peut être investi par le graphisme : la visualisation de données et d’infographies. Pour cet article faisant référence au lexique de la cartographie, la spatialisation des tableaux et graphiques est cruciale. Ils se déploieront au-delà des pages, soit en dépliant un rabat, soit en les insérant en tant que feuillets libres. Exemple d’une double page Premier graphique réalisé Par ailleurs, j’ai prévu un entretien vendredi prochain avec l’une des contributrices. Voici les questions que j’ai déjà esquissées. La revue s’appelle Entre-tenir donc mener des entretiens s’imposait un peu à moi. L’objectif de cette revue est de créer ensemble et de garder une trace de ces échanges qui reposent aussi sur nos différences. C’est un peu ce que Sarah Matia Pasqualetti et Chris Cyrille abordent dans Mais le monde est une mangrovité, lorsqu’ils cherchent à créer une pensée relationnelle. Est-ce que tu te reconnais dans ces dynamiques de partage à travers tes créations ? Comment te dé-saisis-tu de ce qui est tien pour créer des liens ? (animation d’ateliers) Dans l’entre-tien, il y a aussi cette idée du care qui est indissociable de féminismes noirs.Loin de moi l'idée d'une lecture superficielle de bell hooks, mais l’idée est d’entre-tenir les siens pour permettre de mener des luttes de manière saine. J’ai fait mes petites recherches et ton mémoire de diplôme s’intitulait Libérer la parole. Je me demande donc si tu t’inscris personnellement dans des combats, et surtout lesquels ? Sur quels sujets souhaites-tu libérer cette parole ? Dans ton projet “Gâteau fouetté”, tu crées un durag, un accessoire associé aux masculinités noires, et notamment aux cultures hip hop. Mais tu en proposes une version tissée, presque comme une traîne très délicate. La photo portée ouvre à des réflexions sur les masculinités noires. Peux-tu me parler de l’élément déclencheur de cette création ? Il y a vraiment ce lien de filiation dans ton travail, y vois-tu un écho par rapport aux entrelacs du tissage ? Pour mettre en page la revue, je ne veux vraiment pas trahir tes intentions. Donc peux-tu me présenter tes références, l’univers dans lequel tu évolues ? Enfin, j’ai entamé les illustrations de mes rencontres et des conférences auxquelles j’ai pu assister sur les thématiques féministes et antiracistes. Je crains la redondance de ces images représentant un panel d’intervenant.es devant un public. Je compte donc effectuer un tri dans ces événements et dans les illustrations que je produis et éditer ce travail. Bien que nous n’ayons pas eu cours avec Delphine Gauly, le groupe deux m’a informée d’un nouveau projet de production d’images sur la conduite de notre projet de diplôme. Je pense donc que ces illustrations peuvent être pertinentes à cet égard. 03.04 Retours de l’équipe enseignante La semaine passée Gabriele et Yoann m’ont fortement incitée à collecter et publier un grand nombre de contenus, quitte à effectuer mes propres traductions et ne pas demander de cession de droits d’auteur. Leur argument était que la revue ne serait pas publiée et qu’il me fallait démontrer mes compétences de design éditorial sur un contenu varié. Alors que Patrice a insisté sur l’aspect professionnalisant des démarches collectives, Gabriele et Yoann soulignent eux le caractère fictif du projet de diplôme. Ils m’ont donc demandé de récolter tous mes contenus en une semaine et de dresser une typologie de ceux-ci (articles scientifiques, entretiens, récits…) pour saisir les enjeux de leur mise en page. Définition de la ligne éditoriale Par ailleurs, j’ai défini une ligne éditoriale pour ce premier numéro qui s'intitule “Itinérance(s) et Résistance(s)”. J’ai choisi un format de 32 cm de hauteur, il s’agit du format de nombreux atlas. En ce qui concerne la largeur, je la voulais plus étroite que celle des atlas, pour faciliter la prise en main. J’ai donc fait en sorte que le format soit proportionnel à celui de la Revue du monde noir initiée par Paulette Nardal. Voici le sommaire, pas encore ordonné, des articles que j’ai choisis. Walking Barefoot - Nadia Yala Kisukidi - Philosophie Parole noire / Noire parole - Maboula Soumahoro - Récit Les Théories féministes voyageuses - Mara Montanaro - Entretien Deep Ocean Blue - Hadidja Shona - Poème Overbookées - Déli - Chroniques littéraires La discipline des corps dans le capitalisme racial - Victoria Munoz - Sociologie politique Les héritages transnationaux d’Audre Lorde - Stella Bolaki and Sabine Broeck - Histoire Les identités frontières de Gloria Anzaldua - Maya Mihindou et Françoise Vergès - Entretien Le marronnage culinaire : généalogie du jerk - Tao Leigh Goffe - Réflexion Borderless and brazen - May Ayim - Poème Les signes du militantisme anti-raciste - Anna Diagne - Théorie de l’art Les traductions françaises de l’intersectionnalité - Evélia Mayenga - Sociologie Puisque je présenterai des maquettes en blanc d’autres numéros, j’ai quelques pistes de thématiques : Sur la musique et la danse Sur les maternités / la sororité Sur l’écologie Iconographie J’ai eu beaucoup de mal à trouver une iconographie qui me plaît. Je suis tentée de créer mes propres images - photographiques ou illustrées. Cela affirmerait ma présence au sein de la revue, d’autant que Gabriele et Yoann m’ont conseillé de relier les sujets par les images en m’inspirant du catalogue de la cinémathèque sur Pasolini réalisé par Maquettes et Mises en page. Entremêlements En menant mon premier entretien et en choisissant mes textes, je me suis dit que je pourrais également insérer des citations tirées de ces entretiens ou d’autres articles dans le fil de chacun. Ainsi, suite à ce paragraphe extrait du texte de Nadia Yala Kisukidi, je pense citer cette réponse de Tania lors de notre entretien. Les violences infligées aux corps noirs, dans le cadre du système des plantations, étaient telles qu’elles paraissent inconcevables dans notre conscience collective de ce monde. Il est donc impossible de composer un récit dans lequel la raison, notre perception normale de la réalité en trois dimensions, pourrait rester intacte. La nature précise de notre cas ne nous laisse pas d’autre choix que de rompre avec la vraisemblance comme norme du texte littéraire. Mais n’en va-t-il pas de même pour d’autres expériences de vie qui nous donnent le vertige ? Des expériences de vies vécues face à la mort, à la violence, mais aussi au démantèlement systématique d’époques et de lieux, de terres dont nous sommes chassés mais que nous ne pouvons nous résoudre à oublier ? Car c’est exactement ce qui se passe dans les vies vécues en diaspora. [...] “Pour moi le durag protège le cheveu qui est porteur de mémoire. Et en même temps le cheveu, c’est notre ADN, nos ancêtres y sont inscrits et nous les portons avec nous. Les femmes antillaises sont indépendantes, issues de femmes ayant vécu beaucoup de violences à l’époque de l’esclavage et de la colonisation.” 04.04 Je n’ai pas pu aller à la rencontre organisée au Théâtre de Chaillot mardi. Cependant, hier, je suis allée à la Sorbonne à l’occasion d’un entre-tien et d’une table ronde du collectif mangrovité de Chris Cyrille et Sarah Matia Pasqualetti. Cet événement a eu lieu dans l’amphithéâtre Descartes, “en souvenir du congrès de 1956”. Sarah Matia Pasqualetti s’est d’abord entretenue avec Damarice Amao, commissaire de l’exposition Décadrage Colonial au Centre Pompidou, sur les enjeux d’une monstration qui tiendrait compte des problématiques coloniales. Puis, Chris Cyrille a approfondi cette question ainsi que celles de la subjectivité et des réparations avec Maboula Soumahoro, Caroline Déodat et Daphné Nan Le Sergent. Dans leur introduction à l’événement, Sarah Matia Pasqualetti et Chris Cyrille sont revenus sur deux thématiques qui structurent leurs recherches autour de la mangrographie, à savoir la fabulation et la pratique de la relation. Si j’ai déjà analysé la seconde pour définir les prémisses de mon projet, en mettant l’accent sur l’entre-tien et l’enchevêtrement, la première pourrait me permettre de sortir de l’impasse dans laquelle je me trouvais. En effet, dans la construction de leur essai-catalogue-conte, les auteur.es ont entrepris une co-création avec les artistes tout en assumant leur place de conteur.se. “Le conteur narrait à partir des images des artistes, qui eux-mêmes créaient à partir du conte”. Sarah Matia Pasqualetti utilise le conte comme dispositif épistémologique. Le récit devient objet de recherche et méthode. Elle s’appuie sur la distinction formulée par Donna Haraway entre la “fabulation spéculative” et la fiction. La fabulation est une nécessité vitale qui permet une métamorphose du réel à partir de nos imaginaires. Il s’agit de raconter une histoire à travers d’autres histoires. Assumer ainsi la fabulation est un acte politique qui remet en cause l’Histoire qui demeure un récit et laisse de la place pour d’autres récits délégitimés. Ce fut l’expérience de Damarice Amao lors de la mise en place de l’exposition Décadrage Colonial. N’étant pas une historienne du fait colonial mais une spécialiste de la photographie, et en particulier du début du XXe siècle, elle s’attendait à un regard unanimement anticolonial de la part des artistes des avant-gardes. Or ce ne fut pas le cas. Bien qu’elle se soit énormément documentée pour mener cette exposition, elle assume sa position de commissaire artistique et de ce fait sa volonté de montrer de belles images. Cependant, il lui était nécessaire de les remettre en contexte. Alors que dans les années 1920 les artistes européens étaient fascinés par la modernité, un dégoût se ressent dans les années 1930 qui les pousse à chercher un certain exotisme. Mais ce qu’on ne dit pas des images de presse et d’art produites, c’est que les mobilités de leurs auteurs européens se sont effectuées en contexte colonial. L’objectif de la commissaire était donc de neutraliser la séduction de ces images par des textes critiques qui leur étaient contemporains et des analyses historiques. Damarice Amao s’est ainsi saisie des questions coloniales en créant un espace de discussion. Elle a raconté plusieurs histoires à travers une association d’images et de textes. Maboula Soumahoro et Caroline Déodat sont d’abord revenues sur la part de subjectivité qui existe dans leurs textes, qui pourtant sont les écrits de deux universitaires. En partant de l’expérience de Saidiya Hartman, elles ont explicité les difficultés d’écrire une historiographie de la traite transatlantique et de la colonisation lorsque les archives légitimes occultent la voix des personnes réduites en esclavage ou colonisées. Saidiya Hartman elle-même envisage la fabulation comme un moyen de réintroduire une expérience personnelle manquante. Et c’est ce qui se retrouve dans Le Triangle et l’Hexagone de Maboula Soumahoro. Elle raconte qu’elle a écrit ce texte une fois que sa carrière universitaire ne pouvait plus être remise en question. Jusqu’à ce moment, c’était dans les sujets qu’elle étudiait que se trouvait un caractère subversif, mais avec ce livre la forme prit aussi cette intention. Elle a ainsi introduit une expérience personnelle et subjective dans son récit, l’enchevêtrant au collectif. Quant à Caroline Déodat, sa thèse en anthropologie sur le Séga mauricien l’a amenée à se rendre sur l’île d’origine de son père en entreprenant un double rite d’initiation. Finalement c’est sa socialisation en tant qu’anthropologue qui a prévalu sur le lien établi avec la culture d’origine. Malgré une incitation à travailler sur le terrain lorsque l’on est anthropologue, cette dimension et la subjectivité qu’elle pourrait comporter sont effacées du travail de thèse, dans une quête de neutralité qui oublie la sociologie du.de la chercheur.se lui-même. Grâce à son travail artistique, Caroline Déodat a pu pallier ce manque en critiquant le regard ethnographique et en hybridant l’anthropologie à la subjectivité. De la même manière, il faudrait que j’assume ma subjectivité puisque la neutralité est tout aussi impossible en design qu’en sciences sociales. En outre, elle n’est pas souhaitable puisque c’est l’interprétation du designer qui est recherchée. Mon travail repose sur un préalable théorique, présent dans mon mémoire, mais aussi dans les articles que je compte publier. Mais le travail éditorial demeure subjectif et me permettra de narrer mon propre récit à partir des articles choisis. Lors de ma soutenance, Vickie m’a indiqué des références de nombreux documentaires en précisant que c’était un domaine dans lequel les enjeux qui sont les miens ont déjà été soulevés. De la même manière que le.la documentariste ne s’efface pas complètement derrière la caméra, fait parfois entendre sa voix en off , apparaît à l’écran ou écrit le texte lu, en tant que designer éditorial je peux me permettre de faire entendre ma voix sans demeurer dans un récit purement personnelsans que mon travail ne puisse gagner en généralité. Si je pense aux derniers documentaires que j’ai visionnés, c’est celui de Raoul Peck Exterminez toutes ces brutes qui me vient en tête, ainsi que celui d’Emilie Tran Nguyen Je ne suis pas chinetoque. Dans le premier, le réalisateur retrace l’histoire du racisme, des génocides et de la colonisation, tissant des liens entre des périodes historiques qui sont dissociées dans l’enseignement scolaire. Il mêle archives, textes lus, reconstitutions parfois inattendues, mais aussi son récit personnel et quelques photos d’enfance expliquant son propre parcours transatlantique. En outre, on l’entend en voix off. Emilie Tran Nguyen, journaliste, va à la rencontre de plusieurs personnes perçues comme asiatiques en France. Mais à ce travail, qui n’est pas celui du.de la documentariste-réalisateur.ice mais bien celui de la journaliste, s’ajoute un récit personnel lorsqu’elle s’entretient avec son père et sa grand-mère. Dans un cas comme dans l’autre, on n’a pas pour autant le sentiment que le documentaire est un récit strictement familial. C’est davantage une manière subtile de faire sa propre socio-analyse et un premier exemple de la portée individuelle que peuvent avoir des œuvres qui toucheront également des spectateurs. 15.04 J’ai établi un premier chemin de fer pour ma revue en faisant apparaître différentes typologies de contenus afin de ne pas concentrer des textes de même nature ce qui pourrait produire une certaine monotonie. Il y a donc des entretiens, des articles de sciences sociales, des récits et des poèmes. L’ordre des contenus est nécessairement subjectif et repose sur les liens que je perçois entre eux. Créer un chemin de fer n’est jamais qu’une forme d’agencement, une responsabilité qui incombe à la direction éditoriale. Certes, les textes sont susceptibles d’entretenir des relations les uns avec les autres, mais elles ne peuvent être perceptibles qu’à la lecture. Or, en tant que première lectrice de ma revue, c’est à moi de rendre visible cette intertextualité, ce pour quoi la mise en page me sera l’outil principal. J’ai poursuivi mes entretiens et la récurrence de certains points de vue, mais aussi leur singularité, confirme mon intention de les faire dialoguer entre eux et avec le reste de la revue. En ce qui concerne la mise en page de chaque contenu, j’entends partir d’un gabarit différent qui serait fonction de la typologie précédemment évoquée. Il y aurait donc quatre gabarits se pliant aux spécificités de lecture et aux usages. Cependant, des invariants demeurent nécessaires pour maintenir une forme de cohérence. J’ai donc choisi une police de caractères pour les éléments paratextuels récurrents : le titre courant, les folios et les exergues issues des entre-tiens. Par ailleurs, les titres de chaque contenu adoptent une même famille de caractères mais qui présente de grandes variations en son sein. Mes choix typographiques reposent essentiellement sur des considérations politiques. En effet, chaque caractère est choisi en raison de l’engagement de son/sa/ses créateur.ices. S’il existe peu de femmes afrodescendantes typographes, j’ai fait le choix d’alterner entre des typographies de fonderie revendiquant une démarche décoloniale ou du moins décentrée, et des typographies créées par des femmes. Cette représentation genrée n’est certes pas toujours assortie d’une signification politique des caractères en tant que tels, mais le choix de mettre en avant le travail de certain.es demeure politique. J’avais commencé par mettre en page des contenus de sciences sociales, et alors que je cherchais comment innover dans le placement des notes, Gabriele et Yoann m’avaient incitée à respecter certains usages. Afin de comprendre les enjeux du paratexte, j’ai demandé à une amie son mémoire de master en édition sur les notes (et non les “notes de bas de page”, terme qu’elle récuse car trop restrictif). Elle y évoque le contenu des notes dans les ouvrages scientifiques, souvent conçues comme un espace de liberté digressive ou d’approfondissement trop pointu pour l’ensemble des lecteurs. Elle montre que, d’ajouts postérieurs placés en fin d’ouvrage, les notes ont réintégré la page pour ne pas perdre le lecteur dans son parcours de lecture. Elle énonce deux causes à leur placement : l’une d’ordre technique liée aux contraintes de la presse typographique ; l’autre hiérarchisant le texte “principal” et celui contenu dans la note. Elle remet en question ce caractère figé de la mise en page et des usages qu’il induit, posant un regard infantilisant sur un lecteur passif qui ne saurait s’approprier des codes différents d’un ouvrage à l’autre. Des exemples pris chez les éditions b42 démontrent l’ouverture que pourrait avoir la mise en page de ces éléments de paratexte. Son appel à une conception du lecteur en tant qu’acteur rejoint une autre considération liée aux notes, et en particulier aux annotations. En effet, son propos s’appuie sur une conception de l’édition comme débutant non pas avec l’imprimerie, mais avec le travail des moines copistes dont les annotations faisaient partie intégrante de l’ouvrage. Cette prise en compte de l’annotation dans le paratexte et les références qu’elle mobilise pour l’expliquer me permettront de trouver des solutions de mise en page pour rendre possible un dialogue avec le lectorat de ma revue. 16.04 Communication et langages no 200 Lexique “Grilles” Ce numéro de la revue Communication et langages propose des définitions des termes qui gravitent autour de la revue à travers des articles critiques et scientifiques. Dans celui consacré à la grille, Oriane Deseilligny distingue et associe la grille typographique et la grille de lecture scientifique. La première, celle qui occupe les graphistes, mais aussi les éditeur.ices, met le texte en espace. C’est elle qui l’agence afin “que les formes produisent du sens”. Elle est identifiée à un “tamis pour donner à lire des articles”. Cette analogie est d’abord visuelle puisqu'un tamis est composé d’un grillage où s’entrecroisent lignes verticales et horizontales. Mais elle introduit également une idée de filtration de la littérature scientifique qui passerait une étape de sélection éditoriale séparant le bon grain de l’ivraie. Il s’opère donc une forme de rationalisation par le passage à travers les deux grilles, la grille éditoriale parachevant l'œuvre de la grille scientifique. Comment concilier cet ordre de la grille avec le caractère lisse des pensées rhizomatiques ? Les deux ne sont pas antinomiques. En effet, Deleuze et Guattari montrent bien que les espaces lisses tendent vers les espaces striés et que les espaces striés cherchent à imiter les espaces lisses. Dès lors, la revue se présentant comme un espace strié par excellence, il n’est peut-être pas possible de partir du présupposé que l’on peut créer une revue “lisse”. En revanche, dans les démarches adoptées pour construire la revue, la pensée rhizomatique et la recherche d’agencements demeurent possibles et souhaitables dans mon cas. En outre, cela ne signifie pas rechercher une désorganisation totale ou une forme de chaos. Sortir de la binarité qui mène de la racine au tronc et aux branches ne signifie pas désorganiser la pensée, mais produire des liens multiples. Aussi, la grille peut-elle “être parfois intrinsèquement bousculée, éclatée lorsque le verbe impose à la page sa propre logique, comme a pu le faire Mallarmé avec son Coup de dé”. Si le lexique graphique et typographie semblent figés dans des notions telles que celle de la “grille”, les pratiques sont bien plus souples. Les termes, tout comme les concepts philosophiques, offrent des cadres de pensée pour développer une argumentation. Mais ils sont toujours soumis à des interrogations et des redéfinitions, d’autant que dans un domaine aussi créatif ce sont ces interprétations qui signifient la singularité d’une proposition. Oriane Deseilligny conclut par une évocation du travail collectif derrière ces deux grilles et par métonymie la revue. À la croisée de ces deux grilles, c’est tout l’écrit scientifique qui se met en place et dont les acteurs œuvrent collectivement à l’énonciation éditoriale, concept central pour notre revue. C’est aussi à travers ces deux grilles que se définit l’identité d’une revue, le « tour de main » d’une équipe éditoriale et la sélection des textes qu’elle souhaite porter à la connaissance de la communauté scientifique. Bien qu’elle utilise le terme “d’identité” auquel j’ai décidé de ne pas me référer, elle parle “d’oeuvre collective” et “d’équipe éditoriale” porteuse d’une énonciation polyphonique. La grille éditoriale est le support et le pendant graphique d’une lecture et d’une mise en relation de textes d’auteurs pluriels. Leur association donne le ton de la revue, une certaine cohérence plus qu’une identité à moins que celle-ci ne soit comprise dans sa capacité à évoluer dans le temps. “Figures” Dans cet article consacré à l’usage de l’iconographie dans les revues scientifiques, Julia Bonaccorsi note leur relative absence en raison de conventions scientifiques, mais une absence qui demeure limitée car la revue appelle à l’illustration. Sa fréquence dépend donc de l’intériorisation et de l’adaptation de chaque auteur.e à des normes contradictoires qui sont celles de leur discipline et celles de la revue. Néanmoins, l’image est “toujours monstration”, quelle que soit sa fonction. Reprenant une classification de Gérard Regimbeau, Julia Bonaccorsi présente trois types d’iconographie en sciences humaines et sociales : “celle de l’association, l’image répondant au texte ; celle de l’appoint et supplément (exemplification), sans être nommée dans le texte de manière précise ; celle du « contrepoint » qui prolonge l’argument textuel.” Je mobiliserai ces différents types d’images dans ma revue. La sélection iconographique déjà entamée n’était pas effectuée en regard de ces catégories, cependant elle peut y correspondre. En effet, j’ai fait appel à deux ou trois contributrices dont je ne voulais pas retoucher les œuvres, mais les présenter en contrepoint de certains textes. Les images présentent ici un propos aussi fort et indépendant que les articles. Mais je voulais également produire certaines images pour répondre au texte, des images pour lesquelles la retouche est possible puisqu’elles sont une interprétation conjointe du texte et de l’image. J’ai ainsi commencé à travailler sur la colorimétrie de captures de films qui font écho aux sujets présents dans ma revue. Enfin, certaines images feront sûrement figure d’exemple. “Paratexte(s)” Regrettant la fragmentation d’un numéro de la revue en articles lors du processus de numérisation - fragmentation ayant notamment entraîné la suppression d’un élément iconographique - Emmanuël Souchier invite à penser la revue comme un tout, sans hiérarchie entre les articles et le paratexte. Le paratexte est par son étymologie “ce qui est à côté du texte”, ce qui présuppose que le texte se réduit au corps des articles. Pourtant, cette définition spatiale pousse l’auteur à une métaphore faisant de la revue un immeuble où se trouvent plusieurs articles-appartements. Cette image amène la réflexion suivante La revue est une copropriété et de ce fait, elle comprend des « communs ». Elle doit en outre être envisagée comme un tout. Dans quelle mesure, en effet, la revue n’est-elle pas elle-même « un » texte à part entière ? On peut d’abord souligner cet usage des “communs” qui se réfère ici au paratexte et à tous les éléments qui ne sont pas particuliers à un article. L’auteur aurait pu mentionner des “parties communes” mais l’emploi de “communs” renvoie plus généralement à une notion de communauté et de biens communs - des biens dont la consommation n’est pas exclusive mais est soumise à une rivalité. Le commun se distingue du public - non rival. Or, dans mon mémoire j’affirmais que la revue est un espace public et non un bien commun car sa lecture par l’un n’empêche pas sa lecture par l’autre. Mais si l’on se place dans l’ordre de la construction de la revue et non de son appropriation par le lectorat, les communs lui sont propres dans la mesure où ils ne sont pas présents dans une autre revue. Ils participent à la singularité de la revue et lui confèrent une cohérence. Une grande attention sera donc portée aux éléments paratextuels qui fabriquent le lien de communauté entre les articles. C’est ainsi que la revue pourra être considérée comme un tout, et comme un texte inédit bien que composé de rééditions ou de republications. Ce texte formera mon projet de diplôme et j’en serai donc l’auteure. “l’énonciation éditoriale fait partie de ces processus privilégiés qui font que les idées deviennent – aussi – des forces agissantes dans la cité.” Souchier, Emmanuël. « L'image du texte pour une théorie de l'énonciation éditoriale », Les Cahiers de médiologie, vol. 6, no. 2, 1998, pp. 137-145. « Le concept d’énonciation éditoriale renvoie [donc] à l’élaboration plurielle de l’objet textuel. Il annonce une théorie de l’énonciation polyphonique du texte produite ou proférée par toute instance susceptible d’intervenir dans la conception, la réalisation ou la production du livre, et plus généralement de l’écrit. Au-delà, il intéresse tout support associant texte, image et son, notamment les écrans informatiques – étant entendu que tout texte est vu aussi bien que lu » Emmanuel Souchier, Lire et écrire : éditer…, p. 172 “Un texte ne tisse donc pas uniquement des relations « intertextuelles » avec les autres textes qui constituent l’horizon culturel dans lequel il se meut, [...] il est également le creuset d’une énonciation collective derrière laquelle s’affirment des fonctions, des corps de métier, des individus…, et où fatalement se nouent des enjeux de pouvoir” 22.04 - 25.04 Marronnage Dénètem Touam Bona Interview accordée à Usbek & Rika https://usbeketrica.com/fr/article/certains-estiment-dans-une-vision-un-peu-archaique-qu-on-ne-change-pas-le-monde-en-fuyant Le philosophe souhaite dépasser la figure individuelle et individualiste du marron en fuite pour appréhender l’ensemble des stratégies collectives mises en place pour résister à l’esclavage. Il insiste sur le caractère actif et non réactif des marrons et la créativité des multiples formes du marronnage qu’il associe plusieurs fois à la musique. “C’est un phénomène polyphonique, une constellation de résistances furtives, et donc imprévisibles, qui déjouent la programmation des maîtres, la programmation des conduites.” Il évoque “une rythmique” de la résistance ainsi que la “fugue [...] d’un motif musical qui ne cesse de nous échapper comme dans le baroque ou le jazz”. Dénètem Touam Bona fait également référence à Gilles Deleuze. Dans Mille Plateaux, le philosophe insiste sur la création de lignes de fuite par la déterritorialisation du rhizome. C’est ce mouvement qui est créateur. Dans l’un de ses cours, il explique en effet que “c’est sur les lignes de fuite que l’on crée, parce que c’est sur les lignes de fuite que l’on n’a plus aucune certitude”. La création est toujours mise en tension de l’existant et remise en cause des certitudes. C’est ainsi que de l’inédit peut voir le jour. La ligne de fuite n’existe pas a priori, elle n’est pas toute tracée et demeure donc incertaine et dépendante du mouvement. “Écrire, faire rhizome, accroître son territoire par déterritorialisation, étendre la ligne de fuite jusqu'au point où elle couvre tout le plan de consistance en une machine abstraite.” “Rhizome” Mille Plateaux Cette citation pourrait s’appliquer au graphisme dans la mesure où il s’agit également d’inscrire des signes. Le graphisme est une écriture. Ainsi, ma revue est une forme d’extension du territoire du graphiste qui se déterritorialise vers la multiplicité de contenus qu’elle agence. Ces contenus sont de natures différentes et Evidemment, je ne pense pas - j’espère ne pas - aller vers le microfascisme dont Deleuze fait mention. Le rhizome cherchant à étendre son territoire deviendrait englobant voire totalisant dès lors que ses lignes de fuite formeraient un nouveau réseau strié. C’est peut-être en partie pour cela que Dénètem Touam Bona lui préfère la liane qui relève moins d’un réseau horizontal que pourrait s’approprier le système capitaliste. La ligne de fuite se réalise par ailleurs dans le lyannaj. C’est ce que résume le titre d’un article de Dénètem Touam Bona publié dans Multitudes, “Lignes de fuite du marronnage Le «lyannaj» ou l’esprit de la forêt”. Dans un premier temps, l’auteur aborde la fugue marronne comme acte de résistance, ce qui était déjà évoqué dans l’article précédemment cité. Mais des parallèles avec le design graphique, ou des applications de cette pensée dans ce domaine, sont ici plus aisés. En effet, on peut relever tout un vocabulaire qui fait écho au graphisme. “le fugitif par excellence, qui trace sans laisser de trace” “Par leurs gestes et mouvements virtuoses, par leur dislocation rythmique, les corps marrons s’épurent, s’effacent, se virtualisent dans le suspense d’une blue note indocile…” Les propositions de l’auteur quant à l’organisation marronne des “producteurs d’opacité” (comme les nomme Glissant) peuvent aussi permettre de penser le cadre de la revue. J’ai bien conscience que la subversion totale des codes de la revue, de son/ses système(s), pourrait produire une forme de chaos ou de désorganisation qui semblerait non contrôlée et irréfléchie. Il y a des attendus académiques et une démonstration des compétences acquises dans le champ du design graphique est requise pour obtenir son diplôme. Aussi, adopter une forme de marronnage éditorial peut-il sembler à propos. “En ces temps sombres où prolifèrent les dispositifs de contrôle, les résistances se doivent d’être furtives, ponctuelles, fractales – tout sauf frontales. Faire front, affronter, attaquer en terrain découvert c’est offrir une prise aux multiples pouvoirs qui nous assujettissent, et s’exposer ainsi à être capturé, discrédité, criminalisé.” Mettre en branle tous les codes de la revue reviendrait à s’exposer de manière trop spontanée, tandis que se “camoufler” et “imiter” le système dominant pour s’en échapper se prête plus à l’exercice académique - du moins, dans un premier temps. Dénètem Touam Bona s’oppose à la lecture commune de la fameuse citation d’Audre Lorde “les outils du Maître ne détruiront jamais la maison du Maître”. Il la nuance en montrant la transformation que des personnes en résistance peuvent faire subir à ces outils pour produire de la subversion. Les outils ne sont alors plus les mêmes tout en y ressemblant. Cela me fournit un argument pour expliquer le respect de certains codes associés à la revue, qu’il s’agisse de la grille ou du paratexte. Certes, ma grille varie en fonction des contenus, mais elle demeure existante. C’est l’entrelacs de ces contenus de natures diverses qui se joue des catégories eurocentrées et produit une résistance par la mise en relation. Par ailleurs, le choix de produire une revue papier à l’heure où le numérique semble plus adapté à la diffusion des contenus est une manière de résister aux systèmes de surveillance et dispositifs de contrôle à travers un espace à la fois fugitif et affirmé. La revue passe de mains en mains en abolissant les frontières. Elle existe dans l’espace public, peut dialoguer avec tous et toutes, en demeurant un lieu sécurisé. La fugue en design graphique Identité de la marque Fugue par le studio Sagmeister & Walsh Les successions de points et de traits créent un rythme qui fait écho aux notations musicales. Cet élément de définition de la fugue est ainsi suggéré. “La fugue est une technique de composition basée sur l’imitation des voix, comme le canon ; il s’agit donc d’une technique de contrepoint.” On retrouve ici l’idée de contrepoint déjà évoquée à propos de la typologie des illustrations d’article. Il s’agit de “développer simultanément plusieurs lignes”. Ici ce ne sont pas des lignes mélodiques, mais littéralement des lignes en tant que formes. Elles rappellent les lignes de fuite. Tous ces éléments de définition et de problématisation se recoupent formellement dans la fugue. Sur ces deux images, les segments sont effilés et leur couleur s’estompe dans un dégradé qui produit une impression de vitesse. Ce mouvement est renforcé dans la première image par l'agencement de ces formes en arcs concentriques. Les éléments graphiques semblent chercher à s’échapper comme s’ils étaient en fuite. Au sein de mon projet, deux possibilités de penser la fugue et la fuite se présentent. Il y a d’abord une interprétation plus littérale de ce tracé de lignes. Cette piste consisterait à produire des lignes rythmées à la manière du studio Sagmeister & Walsh. Qu’elles soient constituées de formes vectorielles ou encore d’éléments typographiques, des lignes pourraient relier les éléments de la revue. Elles pourraient même faire partie du paratexte. Cependant, ces lignes laisseraient des traces alors que le propre du marronnage est de s’effacer. Dans la mesure où ces philosophies marronnes ne forment qu’un aspect du récit de ce numéro, leur contradiction partielle ne serait finalement qu’une forme de conversation autour des différentes formes d’itinérances. La seconde proposition est plus subtile et se matérialise déjà par une occupation partielle des pages par des contrepoints iconographiques. La fugue est davantage suggérée par des procédés éditoriaux qu’illustrée. Je pense que ces deux pistes peuvent coexister au sein de mon projet. L’atlas Bingham, Thomas « Atlas », Design in translation, (en ligne, consulté le 25/04/2024), URL: https://dit.dampress.org/glossary/atlas Dans son article consacré à l’Atlas dans le glossaire Design in Translation, Thomas Bingham souligne le caractère subjectif de ces représentations du monde. Il effectue un parallèle avec la diffusion du journal en montrant que la commercialisation de l’atlas “permet de créer une « communauté imaginée », dans la mesure où chacun, sur un vaste espace, s'imagine avoir accès à un même discours.” Ainsi, l’atlas est un outil de rassemblement autour d’un discours. Il crée des liens entre ses lecteurs avec lesquels son auteur partage une vision du monde. La puissance de mise en relation de l’atlas se manifeste également par une navigation entre des images et des textes. Sa lecture n’est ni linéaire, ni préétablie. C’est cette capacité de l’atlas qui est mobilisée dans Mnémosyne d’Aby Warburg, étudié par Georges Didi-Huberman. Aby Warburg procède à une cartographie iconographique et relie des images de provenances différentes. “Georges Didi-Huberman remarque qu'avant d'être un objet de connaissance, l'atlas de Warburg est un constructeur d'imaginaire. Les relations sur une planche peuvent être reconstituées à l'infini ; les discours s'articulent donc aussi différemment selon l'ordre de notre regard”. On retrouve cette dynamique rhizomatique des plateaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari, les images se trouvant toutes sur un même plan. Chaque lecteur/spectateur trace ses propres lignes entre les éléments de l’atlas et crée un récit. L’atlas semble ainsi une notion pertinente pour construire ma revue, et en particulier ce numéro sur les itinérances. Aussi, ai-je donc souhaité m’y référer à travers le format choisi. Je souhaiterais également imprimer une cartographie de mon iconographie en grand format pour ma soutenance. Alors qu’elles s’agencent aux différents textes dans la revue, il serait intéressant d’observer les liens entre les images de contrepoint. J’envisage également de présenter le sommaire à la manière d’une carte. Il se présenterait comme un plan plié, relié à la revue par un élastique ou une autre reliure temporaire. Il permettrait alors de naviguer dans la revue en gardant ces repères à portée de main. Mais on pourrait, au contraire, faire le choix d’errer dans la publication et se laisser porter par un instinct de lecteur.ice. J’envisageais plutôt la seconde explication que vous proposez mais il est vrai que la fuite de la carte est un aspect à creuser) 12.05 Dark Deleuze La simple mise en œuvre des propositions énoncées dans mon mémoire me semblait être un projet de diplôme un peu léger, qui n’apporterait rien d’inédit, mais ferait figure de redite. Cependant, la lecture d’autres auteurs qui proposent notamment des réactualisations de la pensée de Gilles Deleuze me permet d’envisager ce projet comme un prolongement du mémoire, voire une antithèse dans la mesure où il constitue une autre réponse aux problématiques soulevées. En effet, alors que Les multiplicités dans un ensemble appelaient à une transgression des systèmes graphiques au sein d’une revue envisagée comme espace public, Entre-tenir se camoufle dans les systèmes de la revue. La revue devient un refuge en dehors des réseaux globalisants qui exposent plus qu’ils ne mettent en relation. En cette première moitié du XXIe siècle, la domination capitaliste - et ses atours coloniaux et patriarcaux - s’est saisie du vocabulaire deleuzien du rhizome et de l’agencement pour faire l’éloge du web à travers des slogans publicitaires. C’est ce qui justifie une relecture sombre du philosophe par Andrew Culp dans Dark Deleuze. Non sans ironie, l’auteur résume ainsi les dérives de ces instrumentalisations capitalistes Il n’y a pas à s’étonner que Deleuze ait pu être dépeint comme le gourou du “bouddhisme californien” à la lampe à lave, après que tant de commentateurs aient réduit sa philosophie rigoureuse à l’appréciation des différences mutuelles, à l’ouverture aux rencontres dans un monde emmêlé ou à l’optimisation des compétences grâce à la synergie. Les nouveaux modes de management, mais aussi l’accroissement de la médiatisation, entraînent une saturation de l’information et font de la connectivité “un mantra”. Il en résulte une responsabilisation individualiste, ce que l’on retrouvait déjà dans la critique de l’injonction à la participation émise par Ludovic Duhem. En outre, la dérive médiatique résultant d’un bouleversement des hiérarchies d’information était déjà envisagée par Habermas. Cette relecture de Deleuze à travers Culp me permet de continuer à préciser et nuancer mon propos. Si je suis moins radicale qu’Andrew Culp et son appel à la conspiration communiste et sa revendication de négativité, certains des points qu’il formule offrent un autre regard et une lecture plus fine de Deleuze. Dark Deleuze me permet avant tout de mettre en lumière les appropriations de termes qui les diluent. L’essai de Culp est divisé suivant des termes divergents des notions formulées par Deleuze, avec des couples tels que “Agencements / Dé-devenir” ou “Rhizome / Dépli”. Je m’attarderais sur certains uniquement. Diagramme: l’asymétrie plutôt que la complexité S’appuyant sur l'œuvre du théoricien de la littérature William Spanos, Culp associe différentes “figures fugaces” énoncées par des penseurs du XXème siècle en raison des relations d’asymétrie qu’elles entretiennent. Celle-ci est définie comme “un conflit entre des différences de genre”, une “cartographie des lignes qui fuient vers le dehors et celles qui y demeurent”, “des effets qui ne coïncident pas avec leurs causes”. Ainsi, l’asymétrie est une relation brutale issue d’une non concordance entre deux puissances. Elle est celle entretenue par des êtres en fuite, qui s’échappent de ce monde, de leur milieu, et sont dans une perpétuelle transformation vers le dehors. Il en est ainsi du “paria” chez Arendt, du “nomade” chez Deleuze et Guattari ou encore de “l’émigré” chez Saïd. Cette asymétrie est une réponse à la mise en avant de la complexité des relations qui, essayant de préserver chaque singularité par une mise à plat, finit par les uniformiser. Par ailleurs, elle conduit à “ajourner” l’affrontement de ces relations inégales perçues comme trop emmêlées et compliquées en plus d’être complexes. L’asymétrie n’est pas un rapport dialectique dans lequel deux termes seraient mis en tension dans une forme d’opposition. Andrew Culp montre qu’elle est consubstantielle à la conception du monde de Deleuze. Et c’est ainsi qu’elle peut être mobilisée pour penser avec Alexander Galloway et Eugene Thacker que “ce n’est pas tant que le féminisme s’oppose au patriarcat mais qu’ils s’opposent de manière asymétrique; le racisme et l’antiracisme ne sont pas seulement opposés, ils existent dans une relation asymétrique”. Cette relation permet donc de formuler des réponses politiques qui assument pleinement les forces propres à la cause défendue, et ce malgré l’état de domination auquel elle est soumise. Cela est illustré par les guérillas menées au Vietnam ou à Cuba et qui permirent de renverser le rapport de forces. Cette analogie avec la guérilla est également reprise par Dénètem Touam Bona dans Sagesse des lianes. L’asymétrie est indéniablement un terme que l’on retrouve dans le design graphique. Elle est souvent utilisée en raison du dynamisme qu’elle induit en rompant avec la fixité de la symétrie. L’asymétrie n’est pas propre à un mouvement artistique : on la retrouve par exemple chez les modernistes comme chez les post-modernistes. Pour les premiers elle a une fonction utilitaire et crée un certain mouvement ou une hiérarchie de l’information (fig. a). Tandis que pour les seconds, elle n’est utilisée que si elle est porteuse de sens (fig b.). Dès lors, faire usage de l’asymétrie ne signifie pas nécessairement que l’on s’ancre dans cette conception des relations. Il faut donc que j’en fasse un usage fin et signifiant. Lorsque l’asymétrie est utilisée dans les mises en page de revues ou magazines, c’est souvent dans le rapport entre texte et images. Du fait de l’économie de l’objet, le texte est amené à occuper au maximum l'espace qui lui est alloué, souvent en deux colonnes (fig. c). La grille asymétrique est souvent lisible par ses marges. Or ces dernières sont réduites pour permettre à un maximum de caractères de figurer dans l’espace de la revue. Choisir un empagement avec de larges marges est un choix que j’ai déjà justifié, mais qui me permet également de renforcer une asymétrie qui n’est pas toujours présente dans les revues. fig. a Paul Rand, Couverture de The Portrait in the Renaissance fig. b Emigre no 19 “Starting from zero” fig. c Revue Faire no 45 Des revues plus audacieuses peuvent user d’asymétries de manière ponctuelle. On retrouve une occurrence de cette mise en page dans le numéro 8 de Panthère Première. Alors que la double page précédente se compose de deux fois trois colonnes en vis-à-vis, chacune occupant le tiers de la page, sur cette page la première colonne est bousculée par une exergue qui la décale. Les trois colonnes de la page de droite n’ont donc pas de répondant symétrique sur la page de gauche. Ce procédé est subtil du fait de la présence d’une image et je pourrais donc le mobiliser. Dans mon cas, l’asymétrie introduite dans les pages accueillant des récits ferait écho aux “figures fugaces” évoquées par Andrew Culp. En effet, bien que l’auteur s’inscrive en faux contre l’identité, y compris dans son acception glissantienne, les figures fugaces peuvent être incarnées - le temps d’une lecture et dans l’espace de la revue - par ces femmes qui prennent la parole et “ose[nt] dire je”, pour reprendre les termes de Maboula Soumahoro. La revue constitue certes une arme qui ressemble à celles avec lesquelles se battent ceux qui les oppressent. Mais elle est renversée par un camouflage qui embrasse l’asymétrie et tire partie de sa différence. Organisation: le dépli plutôt que le rhizome Culp s’en prend à l’omniprésence du rhizome qui en vient à englober tout jusqu’au contrôle exercé à travers le réseau internet. Il préfère insister sur les lignes “jetées” et non tracées vers le dehors, ces lignes “qu’on trouve dans les plis”. Le pli induit des mouvements : le dépli, le repli. Andrew Culp reprend les analogies biologiques de Deleuze et Guattari, et notamment la déterritorialisation du milieu par l’animal, qui ici se déplie. Sans rentrer dans les détails de son analyse, cette pensée en dépli était déjà un élément que j’avais finalement plus retenu que le rhizome en raison de son aspect formel. Si dans Mille plateaux, les philosophes estimaient qu’il était difficile de concevoir un livre de manière rhizomatique, il m’a aussi semblé que la relation rhizomatique, dans son opposition à une forme de linéarité, n’avait pas un équivalent graphique immédiat. Néanmoins, les passages concernant les lignes de fuite et une cartographie non figée qui pourrait toujours s’étendre, m’inspiraient davantage de solutions graphiques. Le pli et le dépli viennent ainsi faire écho à l’objet éditorial dans sa forme de codex. Certes, il n’est pas mise à plat complète, mais il invite le lecteur à effectuer ce mouvement de dépli (et le concepteur à produire ces premiers plis). Dans la conception de la revue, il ne s’agit pas de multiplier à l'excès les pages à rabat, bien qu’un usage modéré puisse être judicieux (selon les contraintes de fabrication). Mais ce dépli pourrait essentiellement se retrouver dans le sommaire que je comptais insérer sous la forme d’un plan (dé)pliable afin d’inviter les lecteur.ices à suivre ou non l’itinéraire que j’ai tracé. Par ailleurs, ce plan pourra être relié à ceux des numéros suivants afin de reprendre la logique du patchwork que j’évoquais lors de ma soutenance. Comme une couverture que l’on plie et déplie, le plan d’ensemble de la revue sera aussi une carte qui s’étendra au fil des numéros. Vitesse: la fuite plutôt que l’accélération Cette partie du livre d’Andrew Culp fait écho aux pensées du marronnage, et notamment à la fuite et à la fugue chez Dénètem Touam Bona. Ici, c’est “l’accélérationnisme” qui est critiqué et, pour se défaire du monde, Culp propose de “se frayer un chemin vers le dehors”. Illustrant la pertinence de la fuite par des figures comme Che Guevara ou le Black Panther George Jackson, Culp souhaite “activer la ligne de fuite révolutionnaire”. L’exutoire [escapism] est opposé à la fuite. Le premier consiste “à se retirer du social”, c’est une forme de détournement aveugle au(x) problème(s). Tandis que la fuite “apprend à faire fuir le social par la multiplicité des trous qui le rongent et le percent”. La fuite est donc révolutionnaire puisqu’elle n’est pas un abandon mais le tracé de lignes aux directions multiples qui permettent au social de s’immiscer dans les pores de la société. Les enjeux - qu’ils soient ceux du prolétariat ou des féminismes noirs - ne sont pas assénés frontalement mais les acteur.ices de la fuite ne les oublient pas. Iels procèdent, tels les marrons, non pas à une dissolution, mais à une imprégnation de ces enjeux dans l’appareil social. Il faudrait alors faire fuir les féminismes noirs par l’ensemble des interstices de la revue. Ces derniers pourraient se retrouver dans le paratexte étudié précédemment. En effet, Andrew Culp et Dénètem Touam Bona font l’éloge de la guérilla et appellent à s’en inspirer. (Je pensais l’avoir pris en note ici, mais j’ai dû oublier) 18.05 Sagesse des lianes – Dénètem Touam Bona La sagesse des lianes “La sagesse des lianes est une sagesse à la fois textile et chorégraphique. Textile en ce que la liane ne consiste, d’une certaine façon, qu’en un jeu de ficelles qui, en reliant des “points de vie” multiples [...] déploie des constellations inédites. Chorégraphique en ce qu’il s’agit de passer d’une figure à l’autre” Une double métaphore est employée pour décrire la sagesse des lianes. Les lianes sont des fils tendus ou des lignes jetées d’une multiplicité vers une autre. Ce sont elles qui sont au cœur du processus de déterritorialisation évoqué par Deleuze et Guattari. Mais cet aspect de la figure tait le mouvement de la liane. Il n’est pas seulement question du constat d’un réseau, mais de la création d’une constellation. Un réseau est une forme de maillage ou de filet dont le but est souvent utilitaire. Qu’il s’agisse d’attraper des animaux ou de mettre un maximum de personnes en relation de manière indifférenciée, le réseau est instrumentalisé. Tandis que la constellation brille et relie de manière imaginaire des étoiles. Les astres sont en mouvement. Aussi un second aspect de la sagesse des lianes intervient-il : celui de la chorégraphie. Une figure est un ensemble de pas – ou de notes en musique – mais c’est l’enchaînement et la variation de l’une à l’autre qui crée l'œuvre. Les lianes sont ainsi ces figures qui se meuvent d’un état à un autre. En design graphique, le rapport au geste peut aussi être mobilisé de manière littérale ou plus abstraite. En effet, Dénètem Touam Bona évoque directement la calligraphie qui laisse une trace du geste. Le philosophe s’attache à la notion de figure de la liane, plutôt qu’image, car “elle conserve le rapport au geste : on dit d’une calligraphe ou d’une danseur qu’ils exécutent des figures”. La liane n’est donc pas la représentation d’un mode de pensée, ou d’une philosophie, elle est un geste philosophique – voire ontologique. C’est pour cela que j’ai effectué plusieurs tracés pour ma revue. Deux titres de séquence sont réalisés ainsi et un arrière-plan laisse entrevoir le geste du pinceau. Mais je ne voulais pas systématiser ce procédé. Le mouvement peut être apporté de manière plus subtile à travers des jeux rythmiques qui font de la lecture une chorégraphie. Quant à la métaphore textile, elle devient textuelle. La liane peut être vue dans la revue elle-même dans la mesure où le contenu textuel constitue un enchaînement de lignes typographiques d’origines diverses. “Le conteur est un tisserand, lui qui a toujours su qu’une histoire ne vaut que par ses reprises, que par ses variations, que par ce mouvement de va-et-vient qui en assure la trame, la texture, la vie”. Un récit,même lorsqu’il semble linéaire, est fait de “nœuds”. En réalité, de nombreux fils s’entrecroisent pour dresser la trame d’une histoire et c’est l’art du conteur que de feindre une linéarité quand en réalité il compose en mode mineur. Les histoires varient selon les mots employés et même selon le lieu d’énonciation. Ce lieu est dans mon cas l’espace de la revue. Ma situation d’énonciatrice éditoriale fait de moi la cheffe d’orchestre d’une pièce polyphonique. Si je donne une logique à la succession des récits, c’est également un récit plus large que je compose avec ses modulations. ““Notre” histoire, c’est la constellation mobile de nos cheminements”. Le rapport à la carte “La carte coloniale assure la lisibilité des terres sauvages” et permet leur domestication par des infrastructures. Mais “le blanc des cartes est le produit d’une opération stratégique de blanchiment de l’histoire, de lessivage de la mémoire des territoires”. Dénètem Touam Bona dénonce la ré-écriture de la terre par l’entreprise coloniale. Une réécriture qui impose une conception unique de la culture et nie les cosmologies et la culture – celle de la terre autant que l’ensemble des pratiques de l’esprit – des peuples autochtones. C’est cette négation qui constitue le blanc des cartes. Or le tracé des cartes est également un enjeu de design graphique. Les cartes sont des instruments de pouvoir qui proposent des représentations du monde nécessairement partielles et partiales. Si dans Mille plateaux la carte est envisagée de manière ouverte et comme une construction perpétuelle résultant du tracé de lignes de fuite, cette conception peut présenter un risque de globalisation. C’est ainsi que le néolibéralisme a pu lire en cet essai les clés de la légitimation d’un réseau capitaliste. Dès lors, toute conception de la carte, même la plus ouverte et la moins figée est susceptible d’être instrumentalisée. Ma revue n’est certes pas une carte, mais elle donne à voir des itinéraires personnels et collectifs, en particulier dans ce premier numéro. Contrairement aux cartes coloniales, elle est centrée sur des histoires et mémoires que je ne souhaite pas voir effacées. Elle subvertit donc certains éléments de la cartographie pour pallier ses travers. Elle se cache dans “l’ombre – dans le blanc des cartes”, dans ce qui n’y est pas dit, ce qui reste en marge de celles-ci. Cette stratégie de camouflage dans l’opacité est celle du marronnage. Pratiques du marronnage : Entrelacs, trames et polyphonie Le marronnage, ainsi que de nombreuses techniques de guérilla, s’opère au cœur de la forêt, derrière l’ombre opaque de la végétation. Cette végétation cache les lignes de fuite qui y “trame[nt] des refuges”. “Le camouflage – se confondre avec le milieu de vie dans lequel nous évoluons” jusqu’à une forme de disparition volontaire. L’auteur effectue une comparaison musicale entre cette disparition et une “blue note insaisissable”, un procédé de jazz qui signifie l’inachèvement du morceau et induit une absence de repère. Il s’agit d’une déviation de la tonalité récurrente dans les musiques afrodiasporiques qui fait écho au marronnage. Les processus de déviation et de détournement sont ainsi caractéristiques des philosophies du marronnage. Même les cartes évoquées précédemment sont subverties par l’Underground Railroad par exemple. “Le nègre marron, c’est le fugitif par excellence, celui qui trace sans laisser de traces” (cf Andrew Culp Dark Deleuze). Cette figure du fugitif est celle d’un être qui pratique “torsions, distorsions et contorsions”. Dénètem Touam Bona fait l’éloge des modes mineurs, qui sont certes minorés, mais qui “relèvent d’un art de la fugue : un jeu de cache-cache, aux variables et échelles multiples [...] qui déjoue toute assignation. Par ses connotations musicales (polyphonie, fugue baroque) la notion de “fugue” manifeste la dimension créatrice de la fuite et des différentes formes de fugitivité en général”. La fugue est donc la création produite sur les lignes de fuite. Elle se situe sur cet entre-deux entre le milieu et le dehors. La création peut alors apparaître comme un refuge au cœur de l’opacité du milieu, à l’ombre des lianes protectrices. Elle revendique sa minorité au sein du milieu et c’est ainsi qu’elle déstabilise le mode majeur. On en revient à cette interprétation de la citation d’Audre Lorde “les armes du maîtres ne détruiront jamais la maison du maître”. Ces armes sont transformées en mode mineur, si bien qu’elles deviennent inutilisables en mode majeur mais demeurent imperceptibles dans le milieu. Le mode mineur déstabilise le majeur auquel il s’entrelace. Les déviations et les torsions opérées dans le système dominant sont des actes de résistance fugitifs. Un design en fugue ne s’attaque donc pas frontalement au milieu dans lequel il s’inscrit. Au contraire, il s’y camoufle, feint d’en adopter les codes mais pour les crypter différemment. Entre-tenir a ainsi l’aspect formel d’une revue : un codex édité en plusieurs exemplaires et destiné à produire une série. On y retrouve des grilles différentes selon les typologies de contenus, parfois même des papiers différents. Mais elle dévie légèrement de ce mode majeur auquel elle s’entrelace. Il est impossible de définir le mineur sans majeur, d’où la présence de ces codes. Mais ils sont pliés à mon propos. Ainsi, certaines pages présentent une composition asymétrique, des mots s’échappent de leur ligne et d’autres voix se font entendre à travers des contrepoints. Il y a un bloc de texte principal déstabilisé par des images ou des citations qui offrent d’autres tonalités. Le lyannaj et la relation La liane évoque le lyannaj martiniquais et guadeloupéen qui décrit “des pratiques de solidarité et de résistance qui s’inscrivent dans l’expérience historique du marronnage” . La liane introduit ainsi l’importance de la relation comme moteur de la vie. Par ailleurs, elle évite toute forme d’essentialisation car elle ne renvoie à aucune catégorie botanique précise. La liane désigne moins un être qu’une manière d’être en relation aux autres. Elle ne parvient à s’élever qu’en s’appuyant sur les autres et en s’entremêlant à la végétation. Elle rompt ainsi avec la “gravité terrestre” et bondit sous la pression. Afficher le texte en grand.